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TOR DES GÉANTS – 330 km du 12 au 17 septembre 2021

TOR DES GÉANTS – 330 km du 12 au 17 septembre 2021

Pour introduire mon récit sur le Tor des Géants, je vais vous citer Marcel Proust : « Les jours sont peut-être égaux pour une horloge mais pas pour un homme » 

Pour moi le temps s‘est arrêté le 12 septembre 2021 à 10h00, lors du départ de la course et jusqu’à l’arrivée ; bien sûr je me suis accrochée à tous les messages d’encouragements et aux quelques appels reçus, mais la notion de repas et de sommeil qui rythment la journée a disparu.

Seules ont compté les étapes à parcourir, à finir l’une après l’autre; les BV (bases vie) où des médecins, kinés, podologues, sont à la disposition des concurrents, où des repas consistants et chauds sont proposés. Mais surtout où mon assistant Philippe Gayral m’attendait pour me parler (en dehors, c’est un cheminement très solitaire), m’aider à me changer et réorganiser mon sac en fonction de la météo, me masser …

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Imaginez-vous avoir 6 jours de vacances pour parcourir 338 km, grimper 27 390 m de dénivelé positif, franchir 25 cols à plus de 2000 m d’altitude, longer 30 lacs, traverser 34 communes. Et tout cela au milieu de 823 coureurs représentant 49 pays, au pied du Mont Blanc, du Grand Paradis, du Mont Cervin, des Monts Roses : les Géants des Alpes). Tel est le principe du TOR (Tour, en italien) qui tourne autour de la Vallée d’Aoste, par la Haute Route.

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Je vais détailler mon cheminement : le départ à Courmayeur me libère d’un poids énorme qui m’oppresse, peut-être depuis le jour où ma candidature à participer a été tirée au sort. Je me sens libérée; enfin le début de l’aventure après tous ces préparatifs et entraînements, et enfin je vais découvrir le parcours !

De COURMAYEUR (1223 m) à VALGRISENCHE (1664 m) arrivée dimanche 12/09 à 21h50 – 50 km – 4 747 m D+

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en route vers le départ du Tor des Géants, sur la ligne les favoris du Tor des Glaciers (450 km) avec le futur vainqueur Luca Papi

vidéo des 2 vagues de départ (10h00; 12h00) : https://www.youtube.com/watch?v=G5Hx9CA7BTs

Le départ est donné dans le bruit des cloches et des encouragements; très vite nous nous trouvons sur des chemins embouteillés malgré un départ étalé en deux vagues. Jusqu’au premier col (Arp, alt. 2570 m) la file des coureurs est assez continue. Je trouve néanmoins déjà le moyen de faire une erreur de parcours; c’est simple je suis entrée dans ma bulle, alors que d’autres coureurs papotent. Sous la pression du départ il est impossible pour moi de marcher, même si je «grille des cartouches», en plus je n’ai pas couru depuis 14 jours pour économiser mes forces ; mais en fait je paierai ce choix lors de la 2ème étape.

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traversée de la Thuile – dans la base-vie

Je suis très vite essoufflée mais ouf, la descente se déroule bien jusqu’à à la Thuile (j’ai droit au sourire de Philou qui est venu me voir passer), il fait très chaud et je transpire; je me dit aussi que je vais m’habituer à l’altitude : m’acclimater. Je connais bien la montée jusqu’au refuge Deffayes ; elle est magnifique mais cette fois-ci l’orage n’arrêtera pas ma progression. Je passe bien le col du Haut Pas (Passo Alto, 2860 m), lieu magique; je suis déjà complètement seule du fait que je me suis faite constamment doubler. Je vais m’imaginer que je suis dernière, puis après un champ de mine de cailloux, j’entame l’ascension technique et aérienne du col de la Crosatie (2838 m).

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en approche du Passo Alto

Je n’ai pas le plan du parcours sur moi, mais au fil du temps je vais regarder le profil des prochaines étapes qui sont notées sur chaque ravitaillement (à partir de Donnas); pour le moment je laisse les choses venir, sans calcul et sans trop me soucier de la suite, car mon esprit ne doit pas être encombré de ça.

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col de la Crosatie – main-courante au dessus, coureurs en contrebas

Je suis quand même déçue lorsque j’arrive à Planaval car je pensais arriver à la base-vie de Valgrisenche, il me reste 7 km qui vont être longs et je dois allumer ma frontale. Il fait très froid et dès mon arrivée je vais dans la tente des assistants aux traileurs pour me changer (chaussettes, tee-shirt, je bois du coca et je mange des gâteaux), je parle avec Philou qui a l’air super-heureux de parler avec les autres assistants … je me suis arrêtée 40 min, je repars à 21h30.

VALGRISENCHE / COGNE (1540m) -lundi 13/09 14h30 – 58 km – 5082 m D+

L’étape est une des plus dures, et après la monté au col Fenêtre (2840 m) je me trouve en difficulté dans la descente, d’une grande technicité, où j’ai l’impression qu’un faux pas me ferait tomber dans le vide, car je vois les petites lumières de la ville en bas carrément sous mes pieds. Le sol est glissant, c’est de la folie … des coureurs me doublent encore sauf un jeune italien prénommé Michele; on parle en anglais, il me rassure et reste derrière moi, il me dit qu’il a le temps … Le plus dur aura été d’aller chercher une corde pour progresser au-dessus du vide; je me retrouve plusieurs fois.à 4 pattes pour ne pas glisser.

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lac de la Crosatie – un refuge un peu plus loin

A Rhêmes-Notre-Dame, je vais manger ma première soupe sur un ultra ! Puis j’enchaîne 1620 m de D+ en 2h30 pour atteindre le col Entrelor (3000 m), c’est bien mais la descente va être très longue et froide), et passer le Loson (3300 m); je me suis entraînée à le descendre cet été car il est étroit de passage et vertigineux; du coup cela se passe bien). Sur le parcours je retrouve du monde.

Il fait beau et je reprends mes esprits, ce dernier col m’a épuisée, j’étais couchée sur mes bâtons, le souffle coupé, à regretter de m’être trop dépensée la veille. En revanche je n’ai toujours pas sommeil, les pieds et les cuisses sont douloureux. Arrivée à la base-vie de Cogne je suis assise dans l’herbe, je me fais refaire tous mes pansements aux pieds, je me strappe les cuisses et me fait masser (en fait j’explique que je n’arrive plus à me baisser pour faire pipi en raison des douleurs aux quadriceps !).

Je me change et me voilà prête à repartir. Je discute et j’en profite pour regarder les messages sur mon téléphone, car je n’ai pas pu avant du fait de la technicité de la descente. C’est tellement motivant, touchant et comique à la fois de lire tout ce qu’on m’envoie !! Je me suis arrêté pendant 1h et 20 mn, on est lundi 13, il est 15h45, je vais commencer ma 3ème soirée.

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passage du col Fenêtre après minuit – sieste d’après-midi à Cogne – début de 3ème nuit

COGNE / DONNAS (330 m) – mardi 14/09 – 5h30 – 45 km – 2698 m D+

La Fenêtre de Champorcher (2827 m) est un col bien sûr très long mais simple avec quelque 5 h de montée et autant de descente, sur 25 km ! Entrecoupée de quelques petites remontées bien sûr, dans lesquelles je vais littéralement m’écrouler de sommeil : d’abord sur l’herbe le long du parcours puis sur un banc bancal !

Bizarrement les coureurs sont inquiets de me voir là et l’ont signalé au ravitaillement suivant à Champorcher ; on vient donc me proposer un lit dans la salle mais je repars, pour finalement me coucher, sur un banc, au ravitaillement suivant. En fait si je bouge je tombe, alors je ne bouge pas, et lorsque je me réveille je repars.

Cette nouvelle descente me fait vraiment souffrir, surtout pour mes pieds ; je me demande comment Juju Prouhèze a pu finir la Swiss Peaks sans assistance, c’est vraiment un soutien indispensable de se laisser prendre en main et de débrancher pendant le temps à la BV. De plus cela n’aide pas d’être seul si l’idée d’abandon se présente à notre esprit. D’ailleurs Philou a été clair : « il ne veut pas entendre ce mot ».

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tourisme nocturne à Donnas – cultures en terrasses dans la basse vallée

La traversée de nuit de la ville de Donnas est magnifique; il n’y a personne sauf une jeune fille qui a perdu son chien, je lui explique où je l’ai vu, elle est très contente. C’est une cité Romaine fortifiée, j’y ai traversé la rivière la Doire Baltée. Donnas est le point le plus bas de la course à 330 m.

J’arrive enfin au ravitaillement à 5 h37 le mardi 14, mes pieds sont en feu et me font souffrir terriblement, ouf je peux les montrer au podologue, qui me confectionne des pansements supplémentaires, du coup je me donne droit à seulement 15 min de répit dans un sommeil léger en raison du bruit et de la lumière. Mais je repars en forme après un arrêt de 1 h et 30 mn. On va débuter l’Alte Via n°1.

DONNAS / GRESSONEY – 54 km (1405 m) – Mercredi 15/09 6h40 – 6086 m D+

Philou m’accompagne pour la traversée de la ville où les Valdotains me klaxonnent en faisant des signes d’encouragement ; on arrive à Pont-Saint-Martin, ville magnifique de par son pont; il me raconte les conversations et les encouragements qu’il a eus cela me donne la pêche; mais en plus je constate qu’il alimente bien les échanges sans connaitre la plupart de ses interlocuteurs.

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grand pont, petit pont, avec les pieds mais sans ballon

Je sais que je vais avoir une étape 4 difficile (les étapes impaires sont plus faciles) mais je ne me doute pas encore à quel point elle va l’être. Sans m’en douter avec mon maigre capital de 1 h 30 de dodo, je pars pour 24 h d’efforts quasi-continus, sans vraiment dormir excepté pour la marche plus ou moins éveillée que j’ai effectué à la fin de l’étape (pas sûre de pouvoir la comptabiliser dans mon temps de sommeil).

J’ai toujours les pieds très douloureux mais je ne dois pas y penser, au contraire regarder le paysage qui m’entoure et apprécier ce paysage de vignes et de fruitiers ressemblant au midi, admirer le village suivant, Perloz, on a déjà fait 1000 m de D+ en plus.

Je repasse sur un magnifique pont : le Moretta. Puis on continue à monter à travers les alpages où parfois les vaches se rapprochent et m’inquiètent, (le fermier Italien à qui je disais qu’elles me faisaient peur car elles étaient très proches de moi, m’ a répondu « elles sont gentilles mes filles » )Je venais juste d’envoyer une vidéo à ma fille Camille pour lui montrer ces vaches, car une semaine avant dans le massif du Sancy nous avions fait un énorme détour au val de Courre pour les éviter…

Du coup elle me demande de l’appeler à midi lors de son repas; c’est bien pour moi car je suis très heureuse de l’entendre et ça me donne du courage ; pour elle se doit être rassurant car je la sens inquiète. Elle aussi est amusée par les messages du groupe Whatsapp qui suit ma progression. Je lui promets de l’appeler à l’arrivée.

Je continue l’ascension jusqu’au colle Lace (2120 m). Aérien mais pas inquiétant pour moi ; c’est à partir de là que nous remontons vers le nord pour former la boucle de ce parcours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Lors de mes divagations mentales, je me suis imaginée être un satellite en orbite autour de cette vallée.

Un autre col passé, et je suis à la moitié du parcours, au refuge Coda (174.5 km). Je prends des pâtes mais il fait froid, le brouillard s’est levé, nous sommes sur une crête exposée aux quatre vents, alors je repars après avoir signé sur l’affiche de la course (ce que l’on doit faire à chaque ravitaillement.)

Les lieux sont isolés et magnifiques, sauvages avec des lacs partout, j’essaie de faire une vidéo pour mon groupe à trois reprises, Francki Battaglia me demande de parler, je n’y arrive pas, ma voix se brise à chaque fois tellement je suis émue; alors je fais attention de ne pas tomber comme le dit Caro Convertini car finalement il y a des pièges (des pierres) partout ; c’est vallonné mais nous étions pas mal descendus alors maintenant on remonte; je me fait encore pas mal doubler et on me parle un instant, mais je reste à mon rythme jusqu‘au rifugio della Barma.Je pense que c’est le plus beau de tous, par sa situation; il possède une piscine naturelle à côté, c’est magique.

Là, les vaches mangent les fanions de la course, et le parcours est plus difficile à trouver; je continue de monter pour aller sur une arête rocheuse et accéder avec la lampe frontale au col Marmontana (2358 m), ce passage domine la vallée en contrebas qui forme un méandre, et ma progression est très lente et difficile parfois car effrayante, surtout sur le passage du Crenna Dou Leui (2340 m) puis du col de la Vecchia (2185 m).

J’ai bien peur et cela n’en finit jamais, je suis accompagnée par un lyonnais mais ça ne dure pas il s’éloigne vite, moi je préfère rester prudente; ouf on va amorcer la descente sur Niel. Cela fait un moment que j’ai oublié de boire et manger; à ce ravitaillement je m’endors l’espace d’un instant assise près du feu.

La montée suivante me semble belle avec des escaliers empierrés; il faut trouver le col Lazouney (2400 m) pour enfin redescendre sur Gressoney Saint-Jean; à ce moment mon esprit me joue des tours en me faisant croire que je vois des choses qui n’ont rien à voir avec la réalité. Je vois par exemple des humains à la place du tronc d’un arbre, je suis captivée par ce que je vois et c’est lorsque je m’approche que je me rend compte que c’est une illusion. Idem pour une pierre qui se transforme en un mouchoir …et cela tout au long de la descente ; il est donc temps de mettre le cortex au repos ; ce qui va se produire plus qu’un peu car malencontreusement je ne suis pas réveillée comme prévu et je vais dormir 2h30 ; je me suis réveillée en panique et en larmes, comment est-ce possible !

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Avant, pendant, après Gressoney – la temps se gâte

GRESSONEY / VALTOURNENCHE (1520 m) mercredi 15 21h30 – 33 km – 3187 M D+

Je repars donc après quatre heures d’arrêt, à 10h10 sous la pluie; j’ai atteint 200 km, une première pour moi, mais je me dis que c’est la première et dernière fois; qu’il faudra bien que je me souvienne de ça et qu’au pire on me le rappellera; je sais que j’ai fait l’étape la plus dure. Encore une fois mon esprit me joue des tours et je me vois dernière; je longe une route droite et plate comme à chaque fois que je sors d’une BV; je lis mes messages et je réponds également aux encouragements de mes amis qui ne m’ont pas oubliée au bout de ces 3 jours, puis pour amorcer la montée je m’aperçois que je n’ai pas mes bâtons : zut j’ai laissé mes Salomon* tous neufs pour d’autres bien abimés.

Je peux également admirer le paysage et apercevoir les Mont Rose derrière les nuages; ils sont très imposants et je regrette de ne pas mieux les voir; mais je reviendrai c’est sûr. Je repense à cette nuit terrible pendant laquelle, en dépit de douleurs aigûes aux jambes, j’ai résisté à la tentation de l’abandon, sur cette étape où tout se joue pour la plupart des coureurs. Mes jambes obéissent à ma tête et ma tête me dit d’avancer. Je repense à Valérie Levai qui a écrit « la douleur est passagère, l’abandon définitif » et j’énumère les petites notes positives qui défilent dans mon esprit; la solitude ne me dérange plus, je parle à mon téléphone pour enregistrer des messages vocaux.

Je réfléchis à ce qui me manque le plus : ma douche ? mon lit ? Non, ce sont des pensées futiles. Je réalise que ce qui me manque le plus est de prendre le temps, d’apprécier les moments de plaisir, et principalement celui de m’assoir et regarder le paysage.

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montée, col, descente, montée, col, descente, etc

J’arrive au col Pinter (2777 m), la descente est encore une fois compliquée pour moi, puis encore 1000 m à dévaler pour rejoindre Champoluc ; là je revois Elodie, une concurrente qui allaite son fils Charlie de 1 an et demi ! J’admire sa détermination et plus tard, à force de se croiser, on sympathisera (c’est une belle rencontre). Son compagnon s’occupe de ses pieds de coureuse. (Je ne suis pas la seule à avoir un problème !) C’est simple pour moi, la douleur me fait imaginer que je vais perdre mon petit orteil gauche !

Je repars en longeant un magnifique parc, pour arriver sur une route où je vais tenter de passer en croisant un imposant troupeau de moutons qui déboulent, accompagnés d’un nombre incalculable de chiens dont des patous qui grognent; j’ai fait une vidéo et je n’ai pas oublié que j’ai vraiment été effrayée par cette rencontre. Ensuite c’est la montée facile au refuge du Grand Tournalin (2535 m) puis successivement le technique col di Nannaz (2773 m), et le col des Fontaines (2695 m).

Comme dirait Sylvain Fillette dans son message « chi va piano va sano et chi va sano va lontano »; Je retiens également quelques mots italiens qui résonnent dans mes oreilles, avec les cloches des vaches qui brisent le silence de la montagne « brava, bellissima ragazza, bravissimo, fantastico, tranquillo, piano, forza…».

Je descends en début de nuit vers la base-vie de Valtournenche; j’y arrive à 21h30; je suis contente car il y a du monde et de l’ambiance, mais il fait très froid et je dois dormir un peu, ce que je vais faire en me couchant sur un banc, c’est mon choix; je me refuse à prendre le confort d’un lit de camp; là encore une fois malgré les demandes de Philou, les bénévoles réveillent une autre fille à ma place, et comme il n’a pas le droit de venir, il a du mal à se faire comprendre.

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descente vers Valtournenche – départ de la base-vie (avec le maillot du Bac)

Je m’habille chaudement, comme une randonneuse, car en plus du froid il pleut toujours; et c’est reparti à 00h10 pour une nouvelle montée en solitaire dans une nuit très sombre. On est jeudi 16, c’est ma 4ème nuit. Mon visage est très marqué par un oedème, mais je ne m’en rends pas compte; c’est en regardant des photos, après la course, que je m’en aperçois.

VALTOURNENCHE / OLLOMONT (1393 m) jeudi 16/09 – 20h30 – 48 km – 4904 M D+

La nuit se passe bien : comme souvent j’apprécie l’ambiance nocturne, j’y suis assez à l’aise; sans peurs et cette fois-ci sans hallucinations, je reste concentrée sur le parcours. Après un premier col, fenêtre d’Ersa (2290 m) je remonte sur un col plus redouté car technique et pentu, surtout dans sa descente : la fenêtre de Tsan (2736 m).

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Vallée et fenêtre de Tsan

Lors de ma pause « soupe aux pâtes » (j’ai pris un abonnement) je discute avec un coureur, Christophe, qui ne souhaite pas descendre seul le col, alors je lui dis que je l’attendrai s’il doit arriver au sommet après moi, et c’est le cas; du coup nous descendons ensemble mais malheureusement il ne va pas assez vite pour moi, et je le laisse dès que la section dangereuse est passée. Nous assistons à un lever de soleil extraordinaire et la journée semble s’annoncer clémente, il y a encore beaucoup de lacs et de fermes.

Magià, le refuge suivant, est trop accueillant, des coureurs y dorment, il est 8 h du matin; cette fois je me fait doubler par une Canadienne. Elle me semble très ordonnée dans ses préparatifs, contrairement à moi elle avance bien et je pense donc que mon avance sur elle jusqu’ici était liée à mon minimalisme en « pauses sommeil » .Sur cette étape nous restons en altitude toute la journée (à plus de 2000 m comme celle de Gressoney). Je trouve cela très bien car les lacs sont nombreux, le parcours est sauvage, c’est fantastique.

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refuge de Cuney

Le col suivant est Vessonaz (2793 m) pas simple non plus à aborder, et surtout la descente est interminable; avant d’atteindre Oyace je fais une pause 10 mn dans l’herbe, interrompue par ma sonnerie, ce fut la meilleure. Plus loin un coureur me dira qu’il m’a vue et que j’ai eu une bonne idée de faire ça ; maintenant c’est reparti pour toute une après-midi de vadrouille, car l’étape est dure et longue surtout en raison de la fatigue accumulée.

A Oyace je reste peu, je remonte une pente tout en téléphonant à mon père, il est content de m’entendre et l’émotion est forte. A la fin de la montée un orage soudain déverse des pluies violentes qui me mouillent complètement en très peu de temps. Au refuge suivant qui est en fait un simple abri, je passe mon chemin.

Je suis trempée, cela ne sert à rien de perdre du temps. Et j’arrive au col Brison (2400 m) dont la descente en courts lacets bien pentus n’est pas simple du tout. Après une bonne heure et demie supplémentaires de descente, j’arrive enfin à la dernière base-vie (Ollomont). Comme dirait Julien « c’est uniquement le mental, l’esprit qui vont m’emmener au bout. »

OLLOMONT – COURMAYEUR (vendredi 17/09 16h48) 50 km – 4 210 m D+

Je pars me restaurer en premier puis je rejoins Philou dans la tente des assistants; il est en colère vis-à-vis du responsable de la base, qui refuse de fermer l’auvent de la tente, il fait pourtant très froid. Se changer est un véritable calvaire, je grelotte même pendant le massage mais il n’y a rien à faire. Stéphanie, la femme d’un coureur Alsacien, avec qui nous sympathiserons est très énervée elle aussi.

Je n’arrête pas de dire que mon sac est trop lourd et cette fois-ci j’en enlève des habits, que Philou remettra dedans discrètement. Lorsque je m’en apercevrai plus loin sur le parcours je serai en colère (parait-il que je ne réagis plus normalement). Je pars me coucher, mais 30 minutes seulement me dit Philou. J’ai du mal à m’endormir, je me suis vraiment refroidie. Je tremble même avec la doudoune qu’il m’a prêtée.

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la couchette à la base-vie d’Ollomont – encore un départ à minuit sous la pluie

Je suis repartie seule devant Elodie à 00h10, sous la pluie, sans saluer le surveillant, tout en trébuchant. Dès le début de la montée ma lampe s’éteint, je commets une erreur de parcours et je me trempe les pieds …Cette étape commence mal. Puis je commence à avoir une douleur vive sur le vaste interne du quadriceps droit (elle est située sous mes straps et je pense que la douleur s’est déplacée. Je mets plus d’une heure pour arriver au magnifique refuge Champillon (2465 m) mais le col est encore 250 m plus haut. La descente est un enfer, entre douleur, lenteur, solitude, appréhension de la pente et vent glacial ; je mets plus de 2 h 30 mn pour atteindre le refuge suivant, 900 m plus bas d’altitude. 3 coureurs qui me dépassent demandent mon n° de dossard pour le signaler ensuite, afin de prévenir les secours au cas où je me trouverais en difficulté critique.

Sur le plat j’ai moins mal, le chemin est devenu large, et dans la lumière de ma lampe, je vois approcher un gros animal blanc, il lève la tête, me voit et s’enfuit droit dans la pente, je vois très bien sa longue queue poilue. Dans un premier temps je pense à un renard, mais blanc c’est peu probable, alors j’en déduis que je me trouvais sur la trace d’un loup.

Au refuge suivant, Pointier (1807 m) je m’endors « sur ma soupe » dans le froid ; donc je repars vite, pour m’écrouler de nouveau sur le chemin un peu plus loin. Je repars sans m’être fait doubler, jusqu’à Saint-Rhémy-En-Bosses (1525 m). Là l’infirmière demande conseil par message à un médecin et me fait prendre un antalgique en sublingual ; je n’aurais plus de douleur ensuite.

Je repars sachant que l’arrivée est proche, car nous sommes proches du tunnel du Grand Saint-Bernard (Italo/Suisse), du Mont Blanc, et donc du dernier col à franchir. Il est 8h00, le soleil brille déjà et m’éblouit, mais il me réchauffe après cette nuit au pôle Nord.

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refuge Frassati

Tout d’abord je vais rejoindre le refuge Frassati (2542 m) où j’arrive au bout de 3 h 15 mn. A ce moment de la course, j’oublie complètement que je suis en compétition, je me sens plus sûrement en ballade, et je prends énormément de photos, je fais le sujet aussi (c’est comme cela que je réaliserai à quel point j’avais le visage gonflé) Je verse des larmes, l’aventure va se terminer, le paysage est tellement beau ! Je voudrais rester là un peu plus et en profiter.

Cependant deux concurrentes arrivent au refuge et en repartent très vite, je dois les suivre et reprendre mes esprits : remettre en route la machine qui avance, avance sans réfléchir. Le Malatra (2925 m) tant redouté me parait simple, même génial, tellement il est beau, à son sommet se dévoile le Mont Blanc et la vue est unique, avec ce soleil qui le magnifie.

Je me fais prendre en photo avec ce panorama et je continue, il ne reste que deux points ravitaillements à atteindre mais je ne m’arrêterai plus, redoublant les deux filles croisées au dernier refuge ; je ne mange plus et je ne bois plus; je prends conscience que j’ai perdu beaucoup de temps. C’est lorsque je demande à Philou où est la 4ème V2, que je pars en courant jusqu’à la fin car il me dit 2 h derrière toi, et je réfléchis qu’avec tous mes arrêts elle pourrait avoir remonté jusqu’à me talonner.

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descente du col de Malatra, 4 heures avant l’arrivée à Courmayeur, au pied du Mont-Blanc

J’arrive sur des balcons ensoleillés que j’ai parcourus pour la première fois en 2013 dans l’autre sens, pour la découverte du tour du Mont Blanc puis la CCC (Chamonix Champex Courmayeur). Philou m’attend, fidèle à son engagement et impeccable dans son rôle d’assistant; il m’indique l’itinéraire final, débalisé par les concurrents précédents, qui sans méchanceté ont piqué un fanion en souvenir d’une course qui change une vie; une course qui est une vraie philosophie de la vie, une course hors norme, une course unique en son genre où les souvenirs resteront gravés le plus longtemps possible.

L’arrivée à Courmayeur est indescriptible tellement je suis acclamée par la foule, je n’exprime plus d’émotion tellement je suis épuisée; le passage sur le tapis jaune d’arrivée marqué TORX est trop bref, mais peu importe je suis finisseuse, et appelée sur le podium de ma catégorie, car les 2 V2 font partie des 5 premières femmes au classement scratch. Et surtout je suis une Géante.

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Vendredi soir : Florence et Philippe, objectif atteint.

Le TOR est une Aventure, un Voyage où je me suis trouvée en immersion complète avec la nature et surtout avec la montagne ; je savais que j’allais découvrir des paysages somptueux et c’est ce qui a motivé mon choix pour ce défi. Les émotions éprouvées resteront indélébiles et très fortes : les valeurs sincères de la vie : la joie, la douleur, le plaisir, la fierté, les sacrifices, la peur, la surprise.

Je craignais les conditions météorologiques : les orages, et le grand froid (heureusement il n’a pas neigé) mais dans l’action cela ne m’a pas posé de problèmes majeurs car dans l’action on n’y pense plus. Nous avons tout de même subi les 4 saisons : très chaud au début de la course, très très froid les nuits, l’orage avant d’atteindre le col du Brison (ayant une descente périlleuse), la pluie à Ollomont et Gressoney avec bien sûr le brouillard en montagne…).

Je redoutais par-dessus tous, les descentes vertigineuses, aériennes, abruptes en raison de ma propension au vertige. En Italie il y a peu de mains courantes dans les passages délicats, mais cela s’est passé, temps bien que mal.

Les sentiers Alte Vie n°1 et 2 sont très sauvages et préservés de remontées mécaniques et du tourisme de masse; les villages parcourus sont pittoresques et empierrés, les cours d’eau sont abondants, descendent des glaciers; les refuges sont chaleureux; les alpages et pâturages sont en nombre incalculables; les Valdotains sont enjoués souriants et … francophones, toutes ces bonnes raisons pour avoir envie d’être, vous aussi, un GEANT. Et surtout tout cela pour vous donner envie de découvrir cette belle vallée.

Merci à mon groupe Whatsapp pour avoir ajouté de la vie à mes nuits et mes jours ; à ma Camille pour son soutien bienveillant car je sais qu’elle s’est énormément inquiétée pour moi ; tous les messages privés, d’amis me prodiguant des conseils et encouragements; à Jean-Marc à qui je dois mon Amour pour la montagne, l’apprentissage de la peur et la prudence devant les dangers ; à mon père exemplaire et à ma mère à qui je pense quand dans la douleur. Et bien sûr à Philou pour son dévouement, son soutien, ses connaissances, sa bonne humeur et son implication.

PS : La question qui m’est la plus souvent posée : As-tu eu peur la nuit ? Ma réponse est non jamais, il n’y a aucun risque si l’on suit le balisage.

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samedi : décompression – dimanche : remise des prix

Les chiffres :

Je suis arrivée 193ème, sur plus de 800 participants au départ seulement 431 arriveront au bout ; 3ème V2 mais invitée sur le podium par catégorie, 2ème femme française..

Mon chrono est de 126 h 48 mn, soit 5 nuits et 6 jours. J’ai dormi moins de 6 heures au total (dont 3h30 en base vie et 2h15 sur le parcours) avec 12 heures au total passées en base-vie.

Florence Beynel

Photos par : Florence Beynel, Philippe Gayral, Eric Galéa

https://www.tordesgeants.it/fr/

A propos de Olivier Siméon

Au club depuis 2009, ancien président (2020-2023) Courses nature et sur route. Partisan du covoiturage.

Un commentaire

  1. Encore bravo pour ce défi sportif
    Ton récit de course super,on vit ta course à chaque étape.
    Amicalement

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