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Petit texte sur la TDS (Trace des Ducs de Savoie) août 2023

Petit texte sur la TDS (Trace des Ducs de Savoie) août 2023

Alors voilà, pour parler de cette TDS 2023, j’ai simplement retenu quelques images qui sont gravées sous mes paupières ou dans mes entrailles.
J’ai mal à la tête. Courmayeur, sas de départ de la TDS, 23h30. Je suis assis sur le goudron frais, entouré d’une forêt de paires de guiboles pressées de partir gambader dans la nature. Oui j’ai mal à la tête, je me sens fatigué, les yeux sont douloureux et je doute. Je me dis que vu mon état je risque de ne pas aller très loin. Mais forcément je vais tenter ma chance et on verra bien ce qui arrivera. Je sais que je suis capable d’avoir le mental qui va peut-être m’aider à aller au bout quand même.
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Courmayeur, ville du départ

La première nuit et les ascensions du col Chavannes et du col du Petit Saint Bernard. Je suis parti prudemment comme toujours. Je connais mes capacités, je ne suis pas capable d’aller loin si je pars vite. J’ai mal à la tête, j’ai toujours un peu sommeil mais j’avance bien et les ascensions se passent bien. Je prends du plaisir et pourtant il fait froid, il pleut un peu et parfois il neige sur les crêtes. Mais j’adore ces conditions. Je préfère le froid à la grosse chaleur. Le fait d’avoir couru la Lyon-Sainté-Lyon de 2019 avec une météo exécrable va beaucoup m’aider car je sais qu’on peut se sentir bien dans un froid glacial, malgré les pieds trempés durant plusieurs heures si on est bien couvert… Il faut prendre ça comme un jeu, un défi à relever, «s’amuser avec les emmerdes». Je sais aussi que le froid est mon ami grâce à ma pratique du ski de fond l’hiver. Ceci dit, l’arrivée au col du Petit Saint- Bernard alors que le jour s’est levé sonne comme une délivrance. Parce que si j’aime le froid, faut pas déconner, je suis content aussi quand ça se réchauffe un peu. Et je sais que la descente jusqu’à Bourg-Saint-Maurice va me permettre de retrouver des températures normales.
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Sur la ligne de départ, Philippe et Jean-Jacques

Les retrouvailles avec les amis aux ravitos. Normalement, seul Stephane Lafarge aurait dû être là à chaque ravito. J’étais super-content de savoir qu’il serait là à Bourg-Saint-Maurice pour discuter un peu, pour rigoler aussi. Je savais que ses encouragements me feraient un bien fou et qu’il m’aiderait à remplir mes flasques ou à me trouver à bouffer. Et finalement Jean-Jacques Meyroneinc était là aussi à chaque fois. Victime d’une hypothermie au 20ème km, il a inéluctablement dû s’arrêter. J’étais vraiment triste pour lui car il aurait dû finir cette TDS loin, très très loin devant moi. Mais il reviendra et prendra sa revanche sur le sort… s’il pense à investir dans du matos de qualité, le bougre !! J’ai donc pu bénéficier de l’aide de luxe de mes deux potes à chaque ravito où l’assistance était autorisée et ça a été extra. Je les remercie infiniment pour ce qu’ils ont fait pour moi. J’en étais gêné de leur demander de remplir telle ou telle flasque, d’aller me chercher telle ou telle nourriture. Mais les gars, si j’ai réussi à aller au bout c’est aussi grâce à vous. Vraiment ! Prendre deux jours de congé pour venir se cailler les miches, Steph, c’est énorme ! M’aider sur les ravitos et te cailler toi aussi alors que tu es forcément dégoûté de ton abandon, JJ, c’est énorme aussi ! Rien que pour vous, je devais aller au bout.
La boue, les bouses, la mélasse. Cette TDS aura été rendue encore plus difficile par les pluies qui se sont abattues sur le Beaufortain les jours précédents. Le jour de la course, il a moins plu mais il y avait souvent de la bruine sur les hauteurs, du brouillard voire de la neige au sol. Le sol était détrempé et les chemins étaient souvent transformés en lit de boue suite aux passages de plusieurs dizaines de coureurs et de… vaches. Et qui dit vache, dit bouses ! Je ne suis pas fan du cocktail boue, bouse, eau mais il n’y avait pas le choix. La mélasse qui en résultait m’a accompagné très longtemps sur cette TDS. Forcément courir et marcher dans ces conditions était très usant (les montées furent vraiment difficiles !) à la fois pour le corps et le mental, d’autant plus qu’avec le brouillard et la brume, impossible de me réconforter avec de belles vues sur les montagnes.
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C’est dans ces moments-là, qu’il faut juste arriver à se dire que la seule chose à faire c’est de baisser la tête, mettre un pied devant l’autre et avancer à son rythme. C’est ce que j’appelle poser le cerveau. Quand on en a peu ça aide !!! Et comme souvent, il fallait aussi jouer avec les éléments et trouver un côté rigolo à ce bazar. C’est ce que j’ai fait dans les descentes hyper-glissantes où au lieu de vouloir éviter la mélasse, je mettais allègrement les pieds dedans. C’était marrant de voir que cette mélasse était finalement une alliée dans ces descentes car elle retenait la chaussure et évitait de tomber. C’était marrant de voir le nombre de coureurs que je pouvais doubler en faisant comme ça. C’était marrant d’être dégueulasse, crade et dégoûtant. C’était marrant de mettre les pieds dans les ruisseaux et leurs eaux froides qui me donnaient comme un coup de pied au cul.
La seconde nuit et le jeu de la chasse aux rubalises. J’appréhendais cette seconde nuit car je craignais avoir sommeil et je me suis rappelé que durant la première nuit, je m’étais endormi sans m’en rendre compte en marchant pendant 3 ou 4 secondes. Comme j’avais attaqué cette TDS fatigué, je pensais que cette seconde nuit serait longue et difficile. Mais finalement, le fait d’être maintenant très souvent seul sur le parcours m’obligeait à être vigilant pour ne pas me perdre. Cela a tenu mon esprit en éveil. J’ai donc joué encore. Joué à la chasse aux rubalises avec ma frontale. Courir seul dans le noir, simplement aidé de ma frontale était vraiment très agréable malgré le froid. J’étais bien, zen, heureux. Et finalement, je rattrapais souvent des coureurs qui ne pouvaient pas suivre mon (petit) rythme. Et c’était très motivant.
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Les descentes interminables pour arriver à Beaufort, aux Contamines et aux Houches. Pour réussir un trail, il faut savoir monter mais il faut surtout savoir descendre. Et sur cette TDS, les descentes sont longues d’accord, mais surtout très piégeuses, très techniques, très éprouvantes. Si sur l’UTMB, les descentes sont assez roulantes, sur la TDS ce sont des secteurs plutôt raides jonchés de racines, de pierres et de rochers. Et avec la fatigue, ces portions paraissaient interminables et entamaient mon mental. Je me suis souvent mis en colère, seul à râler comme un con sur ces descentes qui n’en finissaient plus. J’avais peur de lâcher mentalement à cause des descentes alors que c’est ce que je préfère en trail. Il a donc fallu plusieurs fois que je me reprenne pour que les idées négatives ne viennent pas m’envahir. Et pour cela, j’ai tenté de retrouver le goût du jeu (sauter de pierre en pierre par exemple, doubler des concurrents en trouvant le meilleur endroit pour les passer, écouter les sons de la nature …) ou de poser à nouveau le cerveau. J’ai bien dû y parvenir puisque ma progression au classement a été constante tout au long de la course.
La montée du col du Tricot durant la seconde nuit. Un mur ! Presque 1000 m de D+ en 7 km je pense. Je ne m’attendais pas à ça. C’est au pied du mur qu’on voit mieux le mur. Et je l’ai bien vu. Cette montée fut un calvaire dans mon esprit. Mais je savais que j’irais forcément au bout car quoiqu’il arrive, il fallait sortir de ce piège. Ceci dit les pensées négatives m’ont souvent assailli dans cette montée. Je vais me répéter mais il a fallu poser le cerveau encore, d’autant plus que la mélasse avait fait son retour dans la dernière partie de l’ascension. Je n’ai rien trouvé pour jouer ici. Zéro plaisir sur cette portion sauf celui de me rendre compte que finalement je ne m’en sortais pas si mal car peu de concurrents m’avaient doublé et je revenais sur certains. L’arrivée au sommet fut un moment fort dont je parlerai dans quelques lignes.
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La gentillesse des bénévoles aux ravitos. Ces personnes ont un rôle hyper important. Je ne sais pas si on s’en rend toujours compte. Mais là où les copains ne pouvaient être présents, les bénévoles prenaient le relais pour m’encourager, me réconforter, pour me glisser des mots sympas, pour m’aider à remplir une flasque, à me servir en soupe ou en eau gazeuse. Je retiendrai le gars au ravito du col du Joly qui m’a accueilli avec un grand sourire et qui voulait que je prenne autant de barres que je souhaitais parce qu’elles étaient là pour moi et qui m’a beaucoup encouragé au moment où je repartais. Je retiendrai ces trois jeunes au ravito des Houches avec lesquels j’ai plaisanté au sujet de la décoration de Noël présente sous la tente alors qu’on était fin août et qui m’ont encouragé aussi. Mais je retiendrai surtout le gars au sommet du col du Tricot qui m’a accueilli comme si je n’étais pas un anonyme. « Bienvenu Philippe, je suis heureux de t’accueillir au sommet du col du Tricot ». Il m’a encouragé, réconforté et il a terminé en me disant « Tu vois, tu l’as pliée cette TDS ». Il a failli me faire chialer ce type ! Les émotions sont tellement mises à rude épreuve dans ce genre de course que parfois un mot peut nous tirer les larmes. En tout cas, il m’a motivé pour la fin ! Merci à lui !
Réussir à courir entre les Houches et l’arrivée à Chamonix ‍♂️. J’espérais pouvoir courir durant ces huit derniers km, en léger faux plat montant. Je ne pensais pas que je me ferai plaisir comme ça sur cette portion. Même si je l’ai trouvée un peu longue avec la fatigue, j’ai pris beaucoup de plaisir à courir et à voir que je parvenais à revenir sur quelques coureurs. Je me surprends toujours à être capable de courir dans les derniers km « comme si de rien n’était ». Je suis toujours impressionné par les ressources du corps et de l’esprit. J’adore ce genre d’épreuve pour cela : aller chercher de l’énergie là, où on pense qu’il n’y en a pas ou plus. Ce n’est pas toujours possible mais quel bonheur quand on y parvient.
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Arrivée à Chamonix

L’arrivée à Chamonix après 153 km et 29h41 d’efforts‍♀️‍♂️‍♀️. Forcément l’arrivée est une image forte lors d’un ultra ! Comme ce fut chouette de courir avec Stephane dans les rues de Chamonix. Comme ce fut bon d’apprécier ces derniers mètres avant la place du Triangle de l’Amitié. Comme ce fut libérateur de passer cette ligne d’arrivée. Au fond de moi, j’étais heureux forcément mais j’aurais tellement aimé que mon JJ aie pu finir aussi…Mais comme ce fut drôle de le voir se pointer après mon arrivée car il dormait dans la bagnole. Comme ce fut bon de sentir mon corps fatigué mais mon esprit léger. Comme ce fut agréable de me rendre compte que j’étais fatigué mais que je n’avais mal nulle part (si ce n’est un début d’ampoule sous un pied). Comme ce fut rigolo de penser : « Tiens au fait, je n’ai plus mal à la tête. Une TDS est donc aussi efficace qu’un Doliprane ! » Comme ce fut bon de me dire que maintenant j’allais pouvoir connaître une bonne période de récupération en espérant que je ne me serais pas enrhumé avec ces conneries. Comme ce fut fort de penser aux gens qui m’apprécient voire qui m’aiment (des collègues, des amis, la famille, mes enfants, Sylvie, ma mère et mon coach daron ) et de les imaginer contents pour moi d’avoir réussi à aller au bout, là derrière leur écran d’ordi ou de smartphone.
Comme ce fut alléchant de me dire que j’allais sans doute aller me taper un croissant ou un pain au chocolat et qu’à midi on irait sans doute se faire une pizza et bon dessert. L’Histoire retiendra que j’ai effectivement mangé un bon croissant et un bon pain au chocolat et que la pizza de midi fut délicieuse mais trop petite tout comme la glace en dessert. J’aurais bien mis plus de chantilly !
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Patit déjeuner de fin de seconde nuit blanche, Avec Stéphane Lafarge et Jean-Jacques Meyroneinc.

Philippe Quincy

A propos de Olivier Siméon

Au club depuis 2009, ancien président (2020-2023) Courses nature et sur route. Partisan du covoiturage.